Appropriation vs appréciation culturelle

Cette thématique déchaine les passions. Qu’on l’ignore, qu’elle nous fasse “rouler les yeux au ciel”, ou qu’on se lance dans les débats, le sujet prend de l’ampleur et nous renvoie à nos valeurs personnelles d’équité, d’intégration, de liberté artistique et de respect d’autrui… notamment.

Afin de développer un point de vue et de me forger un réel esprit critique, je creuse le sujet, me renseigne et confronte mes opinions, notamment sur la terminologie, mon expérience de Bal Anat, l’origine des bijoux, tatouages et parties de costumes ethniques (en FCBDStyle, entre autre) ou l’utilisation de musiques aux textes à caractères nationalistes, religieux, etc.

Une grande thématique, comme je vous le disais, qui mérite qu’on s’y penche, sans pour autant s’interdire nos passions créatrices, mais en les exécutant en conscience et dans le respect.

Voilà mon objectif et ce que je souhaite véhiculer avec Aum Tribal Aum.

 

Ci-dessous, je souhaite partager avec vous deux débats qui ont impacté notre vocabulaire récemment. L’occasion d’ouvrir une réflexion, si ce n’est déjà fait 😉 ou simplement de découvrir le sujet.

 

L’utilisation du mot “Tribal” pour les nouveaux courants de danses orientales aux USA : 

Ami Sigil (fondatrice des Unmata) a renommé l’Improvisation Tribal Fusion (ITS) en Improvisation Transglobale Fusion (ITS) et Carolena a renommé le célèbre American Tribal Style (ATS) en Fat Chance Belly Dance Style (FCBDStyle), suite à cette thématique développée dans la lettre ouverte de Donna Mejia. Celle-ci y explique pourquoi elle trouve inadéquat d’utiliser le mot “tribal” et que le terme “transnational” est plus approprié. Le mot “tribal” étant lié pour elle au colonialisme et à la souffrance vécue par ses propres ancêtres.

Dans l’article “Pourquoi le nom Aum Tribal Aum”, vous lirez qu’il a pour moi une autre signification. Sans doute car nos tribus gauloises ont disparu depuis des siècles et que cela ne constitue plus une blessure, mais un fait historique lointain. (PS : pour les Liégeois, la tribu des Éburons a été massacrée par les Romains, une cinquantaine d’années avant J-C) Mais bon, ici, nous parlons de ce que le mot nous évoque mutuellement d’un point de vue émotionnel, subjectif.

Je me suis donc demandé ce qu’en disait le dictionnaire (ici Larousse) : “qui est relatif à tribu“. Ok, donc quelle est la définition de tribu? Ici, pour la définition complète, et pour la définition familière : “Groupe assez nombreux et, en particulier, famille dont les membres se tiennent de près, suivent des règles communes.” ou encore “communauté fondée sur des codes communs”.

Je constate que ces définitions validées par le comité éditorial du dictionnaire et l’Académie française, ne mentionnent en rien nos points de vue émotionnels, à Donna Mejia et à moi. Qui a raison? Est-ce que quelqu’un a raison? Peut-être que le point de vue de chacun est valable. D’où, peut-être, le besoin de clarifier notre intension en utilisant ce mot… ?

Je vous laisse à votre propre réflexion sur ce sujet ;).

(Toujours en rapport à Donna Mejia, voici le lien vers ce que j’appellerais son « atelier de réflexion », intéressant et gratuit sur Datura Online. Il invite à une analyse de notre pratique de la danse de manière globale, au travers de notre propre regard.)

 

L’évolution du terme anglais “belly dance” (danse du ventre) :

Autre évolution de notre vocabulaire : la danse orientale, appelée « belly dance » en anglais, est maintenant plus souvent appelée « MENA dance » pour « Middle East and North Africa Dance ».

Ce terme MENA est utilisé dans les écrits académiques et le monde des affaires. En français « MOAN » pour Moyen-Orient et Afrique du Nord.

La communauté de la danse a également ajouté H pour « Hella » (la Grèce) et T pour la Turquie, ce qui nous donne MENAHT. Enfin une appellation plus précise et inclusive, mais aussi moins réductrice que « belly dance », « danse du ventre ». Plus d’infos à ce sujet via ce post Facebook en anglais.

Si le terme “danse orientale” est aussi parfois contesté en français,  il est pourtant la traduction de “Raqs Sharqi” (رقص شرقي) , son appellation égyptienne, en arabe.

 

Ici, c’est deux éléments de terminologie dont je vous parlais, mais le sujet est bien plus vaste !

Bijoux, vêtements, tatouages, costumes, coiffures,… tout y passe. Et chacun y va de sa condamnation sur les réseaux sociaux. Mais, avec du recul (bon, j’avoue, pour ma part beaucoup de recul et celui-ci précédé de quelques prises de tête, voir aussi d’un état dépressif) on s’aperçoit que ce qui ressort de tous ces débats, c’est de la souffrance.

Beaucoup de souffrance y est exprimée. Certains y voient leur culture dénaturée, détournée et ont peur de la voir disparaitre. Surtout face à l’occident, là où la blessure de la colonisation et le racisme sont encore vifs. D’autres y voient leur liberté d’expression, de création réprimée ; une source d’inspiration taboue, censurée. Leur souffrance, à chacun, ne peut pas être niée.

La question que je me pose est la suivante : N’est-on pas en train de mélanger deux notions très différentes que sont l’interprétation artistique et la préservation de patrimoines culturels? À mon sens, les deux sont essentiels et peuvent mutuellement se mettre en valeur. Tant que l’on sait dans quelle catégorie l’on se situe, et que l’on développe un réel intérêt bienveillant pour l’autre.

J’aspire à des débats et des pratiques qui rassemblent. Qui plus est par ces temps de pandémie où les restrictions et la fracture sociale nous isolent encore plus les uns des autres. En tant qu’artiste et interprète, j’aspire à une plus grande connaissance de ces cultures qui nous fascinent et nous inspirent tout en conservant ma liberté.

La danse orientale, y compris dans ses versions contemporaines aux influences orientalistes, réinterprétée, est pour moi une porte d’entrée vers ces autres cultures. Un moyen de les découvrir et de casser beaucoup de préjugés.

Comme je le disais en début d’article : en conscience et dans le respect. Voilà deux valeurs qui me sont chères et que cette thématique de l’appropriation culturelle peut me permettre de développer encore plus. Dans le respect de soi comme dans le respect des autres. En conscience des éléments d’origine, des traditions, de leurs mélanges, des interprétations. Tout en restant libre de créer, de réinventer; afin que l’art des danses orientales reste une invitation à l’expression de soi, mais aussi à la découverte et à la rencontre des autres.